Mon travail de peintre se porte, par curiosité et préférence, vers toutes les formes d’architectures et de rythmes. Je cherche à faire surgir une écriture abstraite pour rendre compte de l’organisation ou de la désorganisation d’un paysage, d’une construction, ou, à l’inverse, trouver dans la représentation de grands espaces, l’histoire rythmée, la pulsation, qui s’en dégage.
Mes travaux les plus récents tentent ainsi de représenter l’architecture de la mémoire humaine, le chantier emblématique des Jacobins de Rennes, la tectonique des plaques ou encore le défilement graphique de la taïga le long du transsibérien.
Je me suis donc laissé embarquer avec enthousiasme par Valérie Ferchaud dans l’aventure de la collaboration entre artistes et chercheurs du laboratoire des grands fonds d’Ifremer. J’allais de nouveau apprendre grâce au dessin et à la peinture. Je savais d’expérience, qu’à défaut de combler toute mon ignorance s’agissant de l’océan, les recherches et les épreuves m’enrichiraient à coup sûr. Je devinais que les scientifiques m’apporteraient beaucoup.
La réalité s’avère bien plus riche et le partage de visions bien plus dynamique et créatif que je ne pouvais, à priori, l’imaginer. Il me semble que nous avons en commun de conjuguer le travail de la tête et des mains, de chercher et d’aimer chercher, de construire et d’inventer en cherchant.
La démarche rigoureuse et scientifique des chercheurs m’est apparue empreinte de poésie, de cette poésie qu’on attribue plus facilement aux artistes, interprètes singuliers du réel. De même, il faut être poète autant que scientifique pour donner un nom à une cheminée hydrothermale qu’on vient de découvrir. J’ai ainsi commencé une série de portraits de cheminées des abysses, là où la vie s’invente.
Je suis frappée par les différences d’échelles qui caractérisent l’océan, du plus minuscule vivant au plus imposant des prédateurs, du plus petit élément minéral au relief le plus grandiose. Comment donner l’idée même de ces différences de taille ? De cette diversité du vivant ? Je tente de me jouer des échelles en me plaçant dans les yeux des scientifiques, qui eux, utilisent leurs microscopes et leur capacité d’agrandissement pour étudier le plus minuscule des vivants de la méiofaune.
Je cherche à rendre compte du paysage océanique mais comment aborder un paysage qu’on ne peut pas voir ? Sans notion de perspective ? Qu’à cela ne tienne, je me transporte dans le noir que j’éclaire fictivement, les deux pieds sur le plancher océanique et je recrée le paysage de dorsales et de rifts avec, en tête, les descriptions issues des échanges avec les géologues.
Comment rendre plus concret le fait que l’océan est le plus grand continent de notre planète ? Qu’il en est un régulateur et une richesse vivante dont nous devons prendre soin ?
Mes réponses passent par le dessin et la peinture. Je suis très convaincue de la force de l’approche pluridisciplinaire et collaborative. Ce regard croisé des arts et des sciences trouve un premier débouché concret dans un projet d’exposition en 2024 et d’un dialogue qu’il faut souhaiter durable.
Sylvie SALMON